Que je le veuille ou non, je suis pris dans un circuit d'échanges
Roland Barthes
Les déséquilibres de toute nature seront toujours, du fait qu’ils compliquent le problème humain, propices à la littérature
Alain-Paul Mallard
Ce type a un répondeur, il essaie de rester décontracté dès la première phrase. Il adopte le profil humour. Voilà un bon gars qui optimise son côté créatif.
Illusions secrètes nourries lorsque j’ai rédigé ma captatio benevolentiae téléphonique. Le message d’accueil.
Les illusions sont une tactique publicitaire. Elles composent le pack humanitaire qui déferle quotidiennement sur nos cinq sens. Livrées avec le bonheur, la perfection et la volonté. La publicité donne l’illusion aux consommateurs d’avoir envie d’un produit parfait qui leur ouvrira les portes du bonheur. Publicitairement, l’humain incarne le gagnant en puissance. Les répondeurs contribuent pleinement au processus rassurant qui maintient tout consommateur dans une attitude optimiste. En gros, les répondeurs ne servent à rien.
J’ai trente ans, je m’appelle Fabrice Plus, je suis libraire dans un centre commercial titanesque. Je m’aperçois régulièrement de l’inutilité cuisante de mon existance lorsque quelques clients s’approchent de mon guichet avant le début des longs week-ends. Et qu’ils me demandent, l’air préoccupé, un guide touristique pour les Indes. Une fois considéré le ramassis d’éléments captivants et symptomatiques du désespoir qui dynamisent leur attitude humaine, j’hésite à les aiguiller vers une lecture reconstructive de Jacques le Fataliste en sirotant une limonade dans un lieu de restauration rapide. De préférence dans une gare. Partir à la découverte de pays du Tiers Monde avec la complicité de grands distributeurs de consommables en tout genre. Voici le nouveau cycle de la vie. Au niveau de l’approche marketing, c’est évidemment bien différent du schéma que les professeurs exposent à l’école primaire en cours de biologie, armés de feutres fluorescents. Cependant, je la ferme et j’évite de la ramener intempestivement.
J’ai habité un no man’s land architectural suisse de la banlieue lausannoise, véritable repère d’étudiants et d’assistants coincés dans cette minuscule Europe Canada Dry le temps d’un programme d’échange scientifique.
Dépressif, j’ai migré en campagne.
Mû par cette force que déploient les animaux qui se sentent en danger. Mes lentes cavalcades dominicales en Opel Senator m’ont amené dans une bourgade dortoir du Gros-de-Vaud. Une localité qui se caractérise par sa dramatique disproportion entre son activité économique et ses incantations culturelles. Un cas flagrant de campagne urbanisée. De grandes entreprises, séduites par le taux peu élevé ou carrément inexistant des impôts pour une période déterminée, s’y sont établies. Ces petites communes sont en général prêtes à tout. Elles se prostitueraient pour attirer plus de firmes. L’exonération fiscale est au développement économique ce que la fellation est à l’amateur de films pornos: la joie discrète d’un petit plus poétique.
Ces entreprises possèdent des collaborateurs, dénomination sans complexe du marché post deuxième Guerre Mondiale. Elle illustre significativement les rapports de force ténus, fliqués et complices qui se créent entre la direction et ses exécutants. Ces collaborateurs ont judicieusement investi dans l’immobilier en construisant leur villa individuelle dans une zone habitable spécialement créée pour ce type de demande.
Le cas des villas jumelées diverge. Il fait appel à une volonté de se rassembler dans l’intimité. Avec un instinct proche de celui des amateurs de sauna ou dans quelques cas toujours plus nombreux, des aficionados de partouzes tranquilles, bohèmes et sympathiquement bourgeoises.
Les villas individuelles en préfabriqué avaient l’exclusivité dans ma bourgade. J’habite pourtant au dernier étage d’un tout petit immeuble d’un rose saumon helvétique. Bâti sur un lieu-dit laconique, issu probablement d’un délire écologiste. Celui du conseiller municipal de gauche en charge de l’aménagement du territoire au bord de l’orgasme, en se tapant discrètement sa maîtresse de droite, un dimanche après-midi d’élection. Mon habitat à loyer modéré s’érige donc sur la parcelle Le Grand Pré. Il s’agit d’un de ces immeubles qui délimitent les gros villages des campagnes suisses, et qui s’érigent fièrement en mémorial de l’exode rural. L’organisation interne du bâtiment est rythmée en grande partie par l’utilisation problématique, car très disputée, de la buanderie. Trois grandes machines à laver, devant lesquelles les éventuelles chances de draguer sont anéanties par le bruit infernal du linge humide qui claque sur les tambours. Et de l’odeur putride de la lessive bon marché. Les célibataires masculins à physique ingrat accordent une importance désespérée à l’approche linguistique d’une situation à débouché éventuellement sexuel. Les nuisances sonores qui couvrent leur stratégie verbale ont un effet castrateur. La moindre culotte de polyester étendue entre deux pincettes en perd même son érotisme. Car les néons blafards, semblables à des loupiottes d’abattoir, répandent leur spectre de fond de cure catholique.
Devant l’immeuble s’étend une grande prairie que des vaches à cloches grotesques dévorent, souillent et peinent à déserter. Une tentative ambigüe de folklore. Les demeures orthonormées des collaborateurs d’entreprise constituent alors la seule distraction du regard. Petit à petit, des royaumes se créent. Des clôtures délimitent. Le tuya prolifère. Si les humains devaient pisser pour marquer leur territoire, ils urineraient du tuya. Rassemblés généralement en haie, les arbrisseaux récoltent les compliments tonitruants des connaissances invitées le dimanche. Il faut meubler la vacuité des espaces linguistiques qui se situent généralement après les salutations, les considérations météorologiques ou géographiques et avant l’ouverture de la bouteille de Clairette de Die. Cette boisson alcoolisée pour sportifs et adeptes des clubs de musculation viendra ramollir des flûtes de supermarché parsemées de grain de sésame. Cette épice branchée. Madame les aura préalablement entreposées dans un récipient en terre cuite aux armoiries de la commune. Puisque Monsieur, nouveau venu, a désiré s’investir dans la vie politique locale en se présentant avec succès aux élections. Comme il manquait quelques candidats pour constituer le Conseil municipal au complet, Monsieur a reçu cette superbe coupelle cuite au four. En guise d’encouragement.
Vient le temps où, une fois que les royaumes se sont bien solidifiés, il faut faire jouer la diplomatie. Chacun veut posséder sa carte d’inscription au grand club voisins, nouvellement et tacitement créé.
Un fiancé et une fiancée perdus. Assis au milieu de piles de prospectus de grands magasins de bricolage. Ils se parlent sur un grand carrelage frais. Alors que l’air est si doux, plus haut, sur la montagne.
Une fête de quartier est alors mise sur pied. Les voisins les plus motivés, c’est-à-dire celles et ceux qui projettent de se présenter aux prochaines élections ou qui en soutiennent d’autres, prennent des initiatives. Ils proposent une date, mettent en page un formulaire d’inscription qui circulera avec des couleurs criardes et une police de caractère vulgaire. Finalement, ils décident de louer la cantine rétractable du club de lutte suisse du village. Ainsi, tout est prévu. S’il pleut, les grills fonctionneront à plein régime sous cette bâche blanche salie par le cambouis des armatures métalliques lubrifiées à la graisse pour machines agricoles. Les convives de cette petite fête y trouveront refuge et imprégneront avec volupté et décontraction leur survêtement week-end de fumée de chipolatas de porc rôties à la bière. Les enfants consommeront en cachette de la marijuana pendant que leurs parents établiront des contacts, noueront des relations de bon voisinage. Une atmosphère sexuellement ambiguë planera sur cette rencontre champêtre.
Le fiancé: Pourquoi es-tu obèse, ma chérie?
La fiancée: Parce que ma maman m’a bien nourrie…
Le fiancé: Pourquoi transpires-tu, ma grosse chérie?
La fiancée: Parce que ma maman va me manger…
Le fiancé: Je te boufferai avant, ma grosse chérie moite et luisante…
Bien que les hommes seuls suscitent une certaine méfiance de la part des mariés ou des acoquinés, j’ai été convié à la fête de quartier du nouveau lotissement. Le souci d’un rapprochement socio-ethnique équitable avait rassemblé sous la même cantine les propriétaires de villas, surendettés, et les locataires d’immeubles, dressés par les règlements et les tâches administratives. Faisant partie de la deuxième catégorie, j’ai tout de suite remarqué à mon égard une certaine condescendance, une douce bienveillance. J’avais le statut du petit garçon qui a obtenu l’autorisation de rentrer dans le salon, et de s’asseoir parmi les invités, pendant que les grands sirotent leur alcool fort et tire magnanimement des bouffées de tabac récolté dans des contrées lointaines. Grâce aux petites mains fines et soyeuses de gamins et de femmes sodomisés par des propriétaires terriens raffolant de salsa et de quatre-quatre de luxe européens.
Néanmoins, dans ce genre de club de voisinage, rien n’est spécifiquement prévu pour les hommes seuls. Si encore j’avais été vieux et calme, on m’aurait indiqué une petite place sur un rocher de rétention de terre fraîchement remuée. Au soleil. On m’aurait tiré un petit parasol pour me faire de l’ombre. Et puis, à intervalles réguliers, les jeunes couples surendettés seraient tombés en pamoison en observant mon immobilité décrépite. Ils soupireraient qu’ils aimeraient vivre aussi longtemps et aussi lucidement. A mille lieues d’intégrer dans leurs cerveaux pudibonds et raisonnables que la plupart des vieux sont muets et inertes par sénilité. Et qu’un vieux, d’une manière ou d’une autre, est d’une génération qui aura déclenché une guerre quelque part sur le globe. J’étais jeune et ma tranquillité inquiétait plus qu’elle ne rassurait. Je provoquais la crainte du trentenaire qui déambule les mains dans le dos en attendant que ses trois chipolatas lardées soient impeccablement grillées. J’incarnais celui qu’on ne connaît pas, mais qui vit dans la solitude. J’étais le locataire à surveiller, la distraction, la petite gâterie policière des concierges.
Bien vite cette petite kermesse de rapprochement villageois m’a collé la nausée. Je m’y attendais, évidemment. Mais se faire taper sur l’épaule par un employé de banque en survêtement et en marcel, agitant maladroitement une pique pour retourner la viande et vous demandant comment va le boulot, ça déprime toujours pendant les quelques fractions de seconde qui précèdent l’ouverture phatique de cet échange parfaitement creux.
J’ai appris plus tard qu’il était le responsable grill. Il m’expliqua qu’il aimait les choses qui se réglaient vite et l’ordre dans ses affaires. Une pensée curieuse me traversa. Les nazis et les fascistes avaient aussi matérialisé une propension pour ce qui se résolvait vite et avec discipline. Sa femme arriva et m’empêcha de concrétiser mon raisonnement. Elle aussi s’exhibait en survêtement, avec ce qu’elle appelait un top. Uen bandelette de tissu élastique qui lui moulait la poitrine. J’en distinguais ses aréoles. Dans mon pantalon de toile noire et ma chemise blanche aux manches retroussées, je me sentais irrémédiablement de trop. Je pensais faire été, alors que je n’étais qu’inadéquation.
Je n’arrivais pas à adopter une attitude week-end. Cette seconde vie en survêtement, avec un chien jaune qui bave sur mes baskets. Cette joie secrète d’assister au film commercial du dimanche soir sur la chaîne nationale. Cette joie qui fixe un vague sourire de bien-être tout au long de la journée.
La femme du responsable grill me fascinait. Il s’agissait visiblement d’une obsédée des centres de culture physique. Elle n’était pas la seule. La majorité des mères de famille présentes devaient fréquenter ce genre d’endroits. Pendant que les maris s’épuisaient sur un vélo, sur des skis, sur n’importe quoi pourvu qu’ils soient en plein air. Elles étaient ici entre copines. Ils étaient ici entre potes de virée. Animées par une espèce de connivence, elles chipotaient devant les salades de pommes de terre qu’une sur deux avait apportées.
Elle s’appelait Franziska. Cette dérive germanophone qui caractérise beaucoup de Suisses est pénible. Ici, tout son être semblait pourtant réclamer ce prénom. La tenue de sport moulante, les lunettes à soleil aérodynamiques, ce jeune mari court sur pattes, ses amis à gros bide et cette attitude inconsciemment et sexuellement équivoque.
Le fiancé: Ma chérie, j’ai acheté un gros break allemand…
La fiancée: Les voitures allemandes, ce sont les meilleures voitures!
Le fiancé: Pourquoi dis-tu ça comme une évidence, ma chérie?
La fiancée: Je ne sais pas vraiment…
Le fiancé: J’ai envie que tu répètes en boucle ce que tu viens de dire. Pendant que nous ferons l’amour sur la banquette arrière de notre gros break allemand. Et puis j’espère éjaculer lorsque tes gros seins humides et luisants de transpiration feront crier le cuir crème des sièges.
Franziska me questionna sur mes hobbys. Je lui rétorquai que je n’avais pas de hobbys mais un ensemble d’activités non lucratives que j’osais appeler loisirs. Elle ne rit pas. Un grand vide marqua furtivement ses traits, avant que son verre de thé froid allégé ne vienne masquer une partie de son visage. Je sentis alors que j’étais en érection. Je ne comprenais pas. Son mari brandit par surprise et magistralement quatre chipolatas finement cuites, empalées au bout de sa pique à viande brunie par le suc grillé. Il les déposa sur une assiette en plastique souple qu’il me tendit. Voilà, je m’intégrais parmi les intimes de la construction préfabriquée.
Arrivé à mi-parcours de l’engloutissement méthodique de mes saucisses de veau, je m’arrêtai soudain. Surpris par le nombre de gosses. Ils avaient été produits en grande quantité. Une fuite en avant. Tous ces couples étaient criblés de dettes. Des rides, des cernes, ce teint gris tirant sur le jaunâtre des alcooliques en devenir. Ils devaient baiser comme ils buvaient: ils oubliaient. J’esquissais alors mentalement les bases d’un conte politique pré-électoral de prévention sanitaire et sociale. Ces couples ressemblaient aux parents du Petit Poucet. Pour remédier à leurs soucis, ces derniers avaient perdu toute leur marmaille en forêt. Les propriétaires surendettés que j’avais devant les yeux utilisaient des méthodes plus modernes. Ils créaient de véritables viviers où les ravisseurs, les enleveurs, les réseaux de prostitution, les pédophiles n’avaient qu’à puiser. Des ghettos de gamins nourris, entretenus et éduqués. Cette fête de quartier fraîchement bâti, avec cette cantine qui s’érigeait en oriflamme, signalait ainsi loin à la ronde l’aboutissement des travaux. Comme le «C’est prêt, à table!» des mères qui appellent toute une famille d’obédiance judéo-chrétienne pour le repas.
-Fous le camp, gros dégueulasse!
Un incident coupa mes tentatives narratives de description des décadences puritaines d’un monde occidental méchant et égoïste. Un jeune femme de vingt ans venait visiblement de se prendre une tape sur les fesses par le responsable grill. Franziska pâlissait.
En survêtement week-end, les employés de banque se lâchaient.
Je me sentis apte à détourner la conversation avec ce tact que j’avais observé dans les films anglosaxons, lorsque le futur amant d’une épouse belle et bornée joue de la réthorique à plein gosier. Je me rapprochai de Franziska. J’agitai maladroitement mon verre, feignant la décontraction.
-Vous avez des enfants?
Elle était encore absorbée par l’embryon d’esclandre de son gros con de mari qu’elle n’avait pas réussi à faire avorter. Mais peu à peu, elle se reprenait, essayant cet air de «Vous savez, il la connaît cette jeune fille, une lointaine parente». Hélas nous n’étions pas dans un film en costumes où l’ironie est un jeu d’esprit. Là, elle donnait plutôt l’air d’un «Il a dû la rencontrer dans un solarium, cette conne». Bref, il s’agissait de la pitoyable et putride odeur de la bêtise humaine prise en flagrant délit de masturbation.
-Oui, une fille unique, c’est notre Déaphoda.
Un nom de déodorant, une appellation d’après-rasage de sport. Ils poussaient décidément le mimétisme très loin. En d’autres circonstances je les aurais soupçonnés de concrétiser le fantasme d’un jeu sado-maso en matérialisant une génération de gosses publicitaires. Franziska remonta son collant, vulgairement. Elle trémoussait sèchement ses hanches. Je compris alors que la fiction était absente de leur univers.
-C’est de quelle origine, un prénom aussi exotique, si je puis me permettre?
Elle me fixa de ces yeux vides et bleus. Bizarrement je compris instantanément la profondeur de l’expression «tactique commerciale de grande ampleur pour addicter un marché potentiellement porteur», que j’avais surprise dans une offre d’emploi au hasard d’un magazine spécialisé dans le trekking en Asie. Franziska semblait arrêtée, suspendue dans le temps. Que se passait-il dans sa tête? Je me suis aussi souvenu de ces programmes informatiques qui grésillaient et qui se bloquaient brièvement, le temps d’enregistrer les données que l’utilisateur leur fournissait.
-C’est rien… une histoire entre moi et Jean-Luc…
Elle hésitait, elle se gênait, elle s’affolait comme le lapin qu’on excite dans sa cage au moyen d’une fourchette frottée contre les barreaux. Je préférai m’éloigner.
Deux gosses se tapaient dessus. L’un poussa l’autre qui tomba sur le visage et se mit à saigner abondamment. Pour ne pas être mêlé à ça, je simulai un salut à un être inconnu au-delà de la cantine. Trop tard, le gosse en sang s’agrippa à ma jambe droite et macula mon pantalon. Alors je me souvins. Déaphoda était une marque de contraceptif oral. Le gamin commençait à pleurnicher sur ma guibolle et j’aperçus Franziska qui frottait sa main sur la brioche de son mari, emballée dans son survêtement week-end désormais tacheté de souillures de gril. Un peu comme s’il s’était dessiné une grosse tête joufflue avec des taches de rousseur au-dessus de ses parties génitales. Jean-Luc n’avait pas franchement l’air à la fête. Pour un employé de banque, les histoires de cul sont comme l’oseille: à manipuler avec précaution, discrétion et précision.
Jean-Luc avait l’attitude du type qui vient de renverser un handicapé avec sa grosse conduite intérieure allemande et qui rationnalise sur l’état de la route et l’orientation du soleil.
Déaphoda devait être l’enfant unique de ce couple qui n’en voulait pas et qui avait loupé son coup. Deux options se présentaient alors. Etait-ce d’authentiques débiles qui trouvaient la musicalité du prénom Déaphoda envoûtante ou poussaient-ils très loin l’art du vice dans une société asphixiée par le politiquement correct? Je commençai à soupçonner chez ce couple un potentiel pervers basé sur l’orgasme par la simulation. Je promenai machinalement mon regard sur les champs et les baraques flambant neuves et je scandais en moi-même: «Bon, faut pas déconner non plus…»
Le fiancé: Ma grosse chérie, vois-tu ce que je tiens dans mes mains?
La fiancée: Oui, c’est une corde…
Le fiancé: Tu as bien répondu, viens recevoir la caresse de la récompense…
La fiancée: J’ai soudain une pensée curieuse…
Le fiancé: Oui, je t’écoute…
La fiancée: J’ai envie de te subtiliser cette corde et de me pendre…
Le fiancé: C’est une pensée d’obèse agressive…
La fiancée: Se suicider, c’est lâche et primitif…
Le fiancé: Vivre comme nous le faisons, c’est cautionner la consommation affective…
Je me saoulais de convivialité arrangée, de grillades et d’odeur de plastique chauffé. Le soleil descendait, le vent se levait. C’était l’été en Suisse. Les mères pensaient à coucher leurs gosses. Je craignais l’ambiance racoleuse et complice qui occuperait l’espace vide.
Je sentis qu’il fallait prendre congé avec toute la déférence d’un sujet qui baise la bague de son roi. En remerciement pour avoir pu apercevoir son seigneur durant sa toilette. Pour avoir accédé à un moment privilégié. La complexité de la tâche m’angoissait.
Une ultime fois, le salut vint d’une mère de famille obèse qui clopinait maladroitement avec ses deux gamins agrippés à sa longue jaquette. Un peu comme dans ces films américains où il vient d’y avoir un attentat. Lorsque la femme du héros assassiné s’extirpe de manière racoleuse du magma assourdissant et sanglant. Généralement au ralenti. La femme pleurait.
Vague d’inquiétude chez les mangeurs de saucisses. Petit séisme chez les schtroumpfs du préfabriqué.
Elle bafouillait, elle bavait un peu. Son maquillage coulait. Elle ressemblait à une incrédule sur laquelle le piège de la maternité s’était refermé. Elle avait cru obtenir le sauf-conduit de la parfaite femme en société rurale à développement urbain tardif parce qu’elle s’était sacrifiée sur l’autel de la maternité.
Son mari surendetté s’était pendu dans leur nouvelle maison. Ce type qui était parti chercher un appareil photo. Ce vendeur en audiovisuel, ce grand beauf avait donc une âme. Il venait de faire la chose la plus lucide du moment. J’étais subjugué, j’aurais voulu connaître ce gars. Y avait-il donc un groupuscule de résistance dans ce bled? Etait-ce un cas isolé?
La petite foule jouait l’ampathie, s’hystérisait, hurlait un petit peu. Davantage pour l’ambiance. Elle phagocytait cette action sublime, à l’image de cette publicité pour chiffon super-absorbant qui aspire toute apparition suspecte sur un revêtement industriel orthonormé.
J’avais envie de vomir. Je m’éclipsais discrètement et définitivement. Au passage j’aperçus la main de la jeune fille de vingt ans glisser fugacement sur la braguette de Jean-Luc, le responsable grill. Pendant que Franziska chialait avec les autres, entourait la veuve et frottait nerveusement ses mains dans les cheveux des orphelins.
Je décidai alors d’embarquer à bord de mon Opel Senator et de m’éloigner vers un grand centre de restauration rapide.