C'est dans les stations-service que ça se passe. Ce sont les endroits qui bougent. Elles captent leur attention parfois jusqu'à 50 kilomètres à l'avance.
Là, c'était la famille De Rosario qui avait vu les signaux. Le père, Joao Miguel Felipe s'était engagé et arrêté sans peine dans le carré blanc. Il avait réglé son système automatique sur P. Le moteur avait presque émis comme un soupir. Enfin, plutôt un bruit de gros réacteur qui s'arrête. La mère, Susana, que les services de l'immigration écrivaient, à tort, Sousana, éteignit les écrans plats encastrés dans les appuie-tête. Pedro, 8 ans, n'eut ainsi pas le temps d'assister à l'assaut final d'un groupe de cinq lionnes sur une impala. Carla, 10 ans, se vit privée des derniers mouvements d'une chorégraphie au fil de laquelle des jeunes gens, pour la plupart métisses, chantaient en montant et descendant des capots de voitures de luxe allemandes. Lourdement parés de bijoux dorés, les garçons agitaient beaucoup les bras, tandis que les filles penchaient la tête à gauche, puis à droite. Et peut-être même qu'elles souriaient vaguement. C'était difficile à dire.
On pouvait ainsi affirmer que la majorité des équipement électroniques de la voiture de Joao Miguel Felipe De Rosario étaient désormais désactivés. Les quatre occupants allaient faire une pause. Ils s'extrayaient du champ d'action du climatiseur. Ils se dirigeaient vers l'ombre, vers une autre fraîcheur, bercée par le ronronnement des compresseurs dormant sous les grands réfrigérateurs.
Visuellement, De Rosario père et mère avaient été pris en charge à 35 kilomètres de là, par un panneau lumineux les invitant à lever le pied. Dès lors, ils parcouraient maintenant les étals d'huiles de moteur, de fruits et légumes, de polos légers, de liquides lave-glace, de produits surgelés, de désodorisants d'habitacle. Ils entamaient un processus de détente. Leurs enfants aussi, puisqu'ils se disputaient distraitement les derniers bonbons en gomme cachés au fond d'un sachet fripé.
C'est juste avant la sortie, alors qu'il repartaient avec des petits fromages de chèvre industriels assaisonnés chichement, qu'il furent happés par Gérard. C'était écrit sur sa poitrine. Il les sollicitait pour participer à l'élection de Miss Autoroute. Presqu'enivrés par la fraîcheur vive et acidulée du lieu, les De Rosario proposèrent naturellement la candidature de Susana, que les services de l'immigration écrivaient, à tort, il est utile de le rappeler, Sousana.
Elle rejoignit ainsi, sur une estrade, à l'arrière de l'établissement, à l'entrée du couloir qui menaient aux toilettes, Karla, de Duisbourg, Juliette, de Montluçon, Carmen, de Pampelune, Luciana de Naples et Priska de Rheinfelden.
Des rafraîchissements à base de quinine circulaient. Il n'est pas inutile de préciser ici que les De Rosario avaient récemment fait l'acquisition d'un nouveau barbecue.
Enfin, voilà. L'après-midi s'égrenait dans des odeurs qui fluctuaient entre l'urine et le détergent. Avant la nuit, avant que les camionneurs ne gagnent cet oasis de néons multicolores, Miss Autoroute était désignée. Et elle cédait des droits limités de son image pour des étiquettes de clubs sandwichs d'un grand pétrolier européen.